PUBLICATION:    La Presse      
DATE:   2006.02.02     
SECTION:        Nouvelles générales    
PAGE:   A1     
BYLINE:         Touzin, Caroline       

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Garderies; Le modèle québécois rendrait les petits agressifs et anxieux

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Les enfants qui fréquentent les garderies à 7$ au Québec seraient plus agressifs et anxieux que les autres petits Canadiens. La santé psychologique de leurs parents serait aussi affectée.

C'est ce que révèle une vaste étude des économistes Michel Baker, Jonathan Gruber et Kevin Milligan, respectivement de l'Université de Toronto, de l'Université de la Colombie-Britannique et du Massachusetts Institute of Technology.

La ministre de la Famille, Carole Théberge, s'est dite " interpellée " par ces résultats.

Elle veut en prendre davantage connaissance avant de les commenter, a indiqué son attachée de presse, Louise Bédard. Cette dernière souligne que les libéraux n'étaient pas au pouvoir entre 1994 et 2002, au moment où l'étude a été effectuée.

Cette étude a été appuyée, mais non financée, par l'Institut C.D. Howe de Toronto. L'organisme indépendant qui mène des recherches sur les politiques sociales et économiques du pays l'a rendue publique, hier.

Entre 1994 et 2002, la proportion de petits Québécois âgés de 2 à 4 ans présentant des troubles d'anxiété a augmenté de 34 %, par rapport à 11,8 % chez les autres petits Canadiens. La proportion d'enfants agressifs a augmenté de 24,2 % dans la province comparativement à 1,4 % dans le reste du Canada.

Les chercheurs ont comparé une série d'indicateurs tirés de l'enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes de Statistique Canada menée auprès de 33000 enfants de 0 à 4 ans entre 1994 et 2002. Après la création du " modèle québécois ", en 1997, les rapports de bagarres et autres comportements agressifs ont notamment augmenté de manière importante.

Mères déprimées

Les mères des enfants en garderie sont plus déprimées, indique aussi l'étude. " La qualité de leurs pratiques parentales diminue " et elles " font état d'une importante détérioration de la qualité de leurs relations avec leur conjoint ", note le chercheur Kevin Milligan, joint à l'Université de Colombie-Britannique, hier.

Comme d'autres chercheurs l'ont constaté avant eux, le " modèle québécois " a largement profité aux familles à revenus moyens et élevés. " Le programme a conduit à une augmentation spectaculaire du recours à la garde d'enfants par les familles biparentales ", selon le chercheur. L'étude n'a pas mesuré l'impact du modèle sur les familles monoparentales en raison des nombreux changements apportés à la politique fiscale, aux prestations pour enfants et à l'aide sociale au cours des 10 dernières années, explique-t-il.

Beaucoup de mères ont quitté le foyer grâce au programme, applaudit le chercheur. La proportion de mères sur le marché du travail s'est accrue d'environ 21 %, soit plus du double de la hausse observée dans le reste du Canada.

L'étude comporte plusieurs limites, précise M. Miligan. " Ces constatations témoignent peut-être de problèmes qui se poseraient de toute façon aux familles au moment de l'entrée des enfants à l'école ", dit-il. Les effets à long terme du programme n'ont pas été étudiés.

D'autres chercheurs ont révélé dans le passé que les habiletés cognitives des enfants en garderie sont plus grandes au moment où ils arrivent à l'âge scolaire, surtout s'ils proviennent de milieux défavorisés.

Une " lumière rouge "

Cette étude est " une lumière rouge qui s'allume pour nous dire d'attendre avant de reproduire ce système-là dans l'ensemble du Canada ", selon l'analyste politique à l'Institut C.D. Howe, Yvan Guillemette. " Au Québec aussi, c'est une lumière rouge, car le programme est très dispendieux, plus de 1 milliard par année. Il faut peut-être le revoir ", ajoute-t-il.

Le financement des garderies au Canada a fait l'objet de débats durant la campagne électorale. Les libéraux de Paul Martin avaient entrepris d'étendre le " modèle québécois " au reste du pays, alors que les conservateurs de Stephen Harper ont promis une approche axée sur l'aide directe aux parents.

Autre économiste qui s'intéresse beaucoup aux garderies québécoises, Pierre Lefebvre, professeur à l'École de gestion de l'UQAM, trouve cette étude " crédible ". " Les résultats ne sont pas si étonnants, compte tenu du fait que les enfants québécois vont davantage à la garderie et ils y vont beaucoup plus longtemps ", affirme-t-il.

L'économiste nuance toutefois ses propos. " Les études américaines qui suivent les enfants dans le temps observent le même genre de comportements. Mais elles montrent que ces comportements se stabilisent avec le temps. "

M. Lefebvre publiera une étude à la fin du mois de février qui indique que le " modèle québécois " n'a pas eu d'impact positif sur le développement cognitif des enfants. " Rien n'a changé avec le nouveau système chez les enfants de 4 ans. C'est même un peu négatif chez les enfants de 5 ans ", indique-t-il sans vouloir donner plus de détails pour l'instant.

POINTS SAILLANTS

Les points saillants de l'étude sur le " modèle québécois de garderies "

Le " modèle québécois " a largement profité aux familles à revenus moyens et élevés.

De nombreuses mères ont quitté le foyer grâce au " modèle ".

Entre 1994 et 2002, la proportion de petits Québécois âgés de 2 à 4 ans présentant des troubles d'anxiété a augmenté de 34%, comparativement à 11,8% chez les autres petits Canadiens.

La proportion d'enfants agressifs, elle, a augmenté de 24,2%dans la province par rapport à 1,4%dans le reste du Canada.