PUBLICATION: La Presse
DATE: 2005.02.05
SECTION: La Presse Affaires
PAGE: LA PRESSE AFFAIRES5
COLUMN: La vie économique
BYLINE: Picher, Claude

Dépenses d'éducation: point de vue d'un prof


La semaine dernière, je faisais état dans cette chronique d'une intéressante étude de l'Institut C.D. Howe. On y montrait que les dépenses d'éducation continuent d'augmenter au Canada, même si le nombre d'élèves diminue en raison de la faible croissance démographique. En 1996, le coût moyen par élève, au primaire et au secondaire, se situait à 7221 $. L'an dernier, il atteignait 8165 $. Si les choses continuent d'évoluer à ce rythme, ces dépenses franchiront le cap des 9000 $ en 2012, ce qui n'est pas très éloigné de nous. Tous ces chiffres sont exprimés en dollars constants, c'est-à-dire qu'ils tiennent compte de l'inflation. La hausse, en une aussi courte période de temps, a de quoi inquiéter.

Cette chronique m'a valu une cinglante réaction d'un enseignant au secondaire. Je pense que cela vaut la peine de reproduire sa lettre intégralement. Je me suis permis une seule modification: remplacer le nom complet de l'auteur par ses initiales. Voici donc ce qu'écrit notre correspondant.

M. Picher Votre analyse alarmiste des dépenses d'éducation m'a fait sursauter. En ne tenant compte que des chiffres, vous omettez des détails importants dont il faut tenir compte dans une analyse du milieu scolaire.

Tout d'abord, en dollars constants de 2004, que les dépenses scolaires n'ont augmenté que de 11,3 % au Canada (12,9 % au Québec) en 9 ans est pratiquement scandaleux. Ces dépenses, avec une augmentation réelle de 13,1 %, n'ont même pas suivi le niveau de l'inflation. Il faut tenir compte du fait que certaines dépenses essentielles ont aussi augmenté. Le coût de l'énergie, de l'entretient des immeubles vieillissants et les salaires des nombreux nouveaux enseignants. En effet, le salaire de ces derniers, pratiquement dérisoire au début de leur carrière (environ 27 000 $ en 1996 au Québec), augmente graduellement, (environ 1500 $ par année) pendant les 17 premières années. Rappelons-nous qu'en 1995, au Québec, le gouvernement a mis en place un " brillant " programme de mise à la retraite prématurée pour les enseignants afin d'économiser immédiatement dans les salaires.

De plus, selon le texte, le lecteur devrait s'offusquer que les dépenses moyennes par élève augmentent alors que la fréquentation diminue. C'est tout à fait normale. Une école qui passe de 500 à 250 élèves ne voit pas ses coûts diminuer de 50 %. Les coûts fixes demeurent les mêmes. Les coûts variables vont diminuer mais pas dans une proportion de 50 %. Il faut continuer d'offrir des services (psychologue, travailleur social, éducateur, directeur...) et le transport doit couvrir le même superficie qu'avant. L'inverse est aussi vrai, si le nombre d'élèves augmente, le coût moyen va diminuer. Ceci avantage grandement les résultats de l'Ontario au niveau des dépenses par élève (qui ont tout de même augmentées!). Notons que l'Alberta, avec une légère hausse de sa clientèle (0,8 %) a augmenté ses dépenses de façon exorbitante (32,9 %) . J'en conclu qu'ils ont décidé d'investir dans l'avenir et que dans quelques années, ils formeront probablement une province en avance sur les autres avec une population bien éduquée!

Il faut faire attention lorsqu'on nous présente que des chiffres et que l'on ne tient pas compte de l'étude sociale. Au Québec, il faut se rappeler qu'en 1995, le gouvernement a coupé énormément en éducation et qu'il a du réinvestir par la suite (pendant la période où porte votre étude) afin de rétablir un système toujours à la dérive. Il faut aussi savoir que depuis quelques années, l'école a substitué les parents à certains niveaux. Pensons au gardiennage, à l'aide aux devoirs ainsi qu'aux activités sportives et culturelles. Un financement qui ne tiendrait compte que du nombre d'élèves comme vous le proposez, serait une situation désastreuse pour les milieux ruraux. Tout compte fait, je crois qu'au Québec, avec une grande superficie, une démographie déclinante et une situation souvent précaire dans nos écoles, nous devrions encore subir quelques petites explosions des dépenses d'éducation si nous ne voulons pas hypothéquer l'avenir.

D.N., Enseignant au secondaire Bachelier en actuariat

Vous avez sans doute relevé, chers lecteurs, quelques fautes d'orthographe et une certaine lourdeur d'expression, mais bon, n'insistons pas là-dessus et intéressons-nous plutôt au contenu.

Notre correspondant commence par se scandaliser du faible rythme de progression des dépenses d'éducation qui, écrit-il, n'ont même pas suivi la courbe de l'inflation. Or, tous les montants cités dans ma chronique sont exprimés en dollars constants (et clairement identifiés comme tels), c'est-à-dire qu'ils sont déjà ajustés pour tenir compte de l'inflation. Dans ces conditions, toute son argumentation sur l'augmentation des coûts tombe forcément à l'eau. J'avoue que ce passage de la lettre m'a estomaqué: incroyable mais vrai, voici donc un bachelier en actuariat qui ne sait pas faire la différence entre dollars constants et dollars courants!

M. N... semble en terrain plus solide lorsqu'il affirme qu'une diminution de la fréquentation scolaire ne se traduit pas forcément par une diminution équivalente des dépenses. Il évoque avec raison le fardeau des coûts fixes. De la même façon, une augmentation de la fréquentation devrait entraîner une baisse des coûts par habitant. En principe, le raisonnement est bon. Dans la vraie vie, ce n'est pas exactement ce qui se passe. Notre correspondant reconnaît d'ailleurs qu'en Alberta et en Ontario, les dépenses continuent à augmenter, même si les élèves sont plus nombreux. Les deux exemples contredisent son argumentation. Il existe une seule province, Terre-Neuve, où le raisonnement de notre correspondant peut avoir de la valeur: diminution de la clientèle de 26 %, diminution des dépenses de 8 %, augmentation des dépenses par élève de 22 %.

Dans les sept autres provinces, la fréquentation baisse en même temps que les dépenses augmentent. Ce serait jouer à l'autruche que de nier qu'il se trouve là un sérieux problème.

Pour le reste, l'enseignant reprend deux arguments déjà abondamment véhiculés, notamment par les lobbies syndicaux: l'" énorme coupure " de 1995, et les coûts élevés entraînés par l'immensité du territoire à couvrir.

En 1995, les dépenses ont effectivement été gelées à leur niveau de l'année précédente, ce qui représente bel et bien une compression. Celle-ci équivaut forcément à la hausse de l'indice des prix à la consommation, soit 2,2 %. Voilà pour l'énormité de la chose.

Enfin, il est grand temps de s'attaquer au mythe de l'immensité du territoire. Vrai, le Québec fait 1,5 million de kilomètres carrés. C'est presque cinq fois la Norvège. Toutefois, 97 % de la population québécoise est concentrée sur 20 % du territoire.

Cela veut dire que les Québécois sont trois fois plus tassés que les Norvégiens, qui ont un plus petit territoire mais qui l'occupent entièrement.