PUBLICATION: La
Presse
DATE: 2006.08.29
SECTION: Forum
PAGE:
A17
BYLINE: Drummond, Don
PHOTO: Mailloux,
Robert
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Des économies menacées; Le Québec et l'Ontario doivent réagir rapidement au nouveau contexte économique mondial, sous peine d'être déclassés
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L'Institut Dominion, un organisme à but non lucratif qui oeuvre à mieux faire connaître leur histoire aux Canadiens, a demandé à une vingtaine de personnalités d'imaginer ce que serait le Canada en 2020. La Presse et le Toronto Star publient, depuis le début de l'été, des extraits de quelques-uns de ces textes. Les textes intégraux peuvent être consultés et commentés sur le site Web du projet www.vingt-vingt.ca.
Plus d'un sixième de la production canadienne et des milliers d'emplois bien rémunérés proviennent du secteur manufacturier. L'industrie de la fabrication a survécu à des transformations de fond telles le libre-échange nord-américain, l'expiration du Pacte de l'automobile et la fin des quotas dans les industries du textile et du vêtement. Aujourd'hui la Chine et d'autres économies asiatiques en émergence se présentent en compétiteurs au moment où le dollar canadien atteint de nouveaux sommets. La base industrielle canadienne peut-elle surmonter ces défis et prospérer ou finira-t-elle par flétrir d'ici l'an 2020? Les salaires dans l'industrie manufacturière devront-ils être réduits aux niveaux de certains de nos pays concurrents?
Le secteur manufacturier ressent le plus durement les effets des concurrents en émergence et du dollar élevé. L'Ontario et le Québec, où le secteur manufacturier compte pour plus de 21 % de la production totale, soit le double de la moyenne des autres provinces, sont les plus touchés. A première vue, les économies des deux provinces- celle de l'Ontario en particulier- semblent bien se porter. Mais en fouillant davantage, on découvre que l'Ontario et le Québec traînent la patte par rapport à 14 États américains comparables. Le principal coupable? Une productivité inférieure!
Et comme s'il ne suffisait pas de devoir s'inquiéter d'un dollar à 90 cents et d'une productivité équivalente à seulement 79 % de la productivité américaine, nous assistons dans le sud des États-Unis à la croissance d'une base ouvrière prête à accepter de très bas salaires avec peu d'avantages sociaux. La détérioration (1 % du PNB) de la balance commerciale avec la Chine au cours des 10 dernières années accentue la menace. Les importations chinoises ne se limitent plus aux t-shirts et aux jouets; les plus fortes augmentations proviennent des secteurs de la machinerie et des biens mécaniques.
Le temps d'investir
Pour augmenter leur efficacité, les fabricants ont réduit de neuf pour cent le nombre d'emplois en Ontario, et de 13 % au Québec, depuis novembre 2002. Mais cela ne peut demeurer la seule réponse. Pour rester au sommet de l'ordre économique mondial nous devons conserver un grand nombre d'emplois bien rémunérés associés à une forte croissance de production. Une économie supportera des salaires élevés dans la mesure où ils s'accompagnent d'une forte productivité.
Selon l'explication classique, la productivité augmente quand les entreprises et les travailleurs trouvent des moyens plus intelligents de produire. Statistique Canada démontre toutefois que moins de la moitié des gains en productivité se produisent de cette façon. La majorité des gains en productivité résultent de la mise en place d'usines- existantes ou nouvelles- plus performantes.
Les entreprises canadiennes doivent donc investir davantage, notamment en machinerie et en équipement, où nos actifs par heure ouvrée n'arrivent qu'à 55 % des valeurs américaines. C'est le bon moment d'agir parce que le niveau élevé du dollar canadien a fortement réduit les coûts des immobilisations importées. Les gouvernements doivent pour leur part réduire les impôts sur le capital au Canada, qui sont les deuxièmes plus élevés parmi les 35 pays étudiés par l'Institut C. D. Howe.
Avec une population vieillissante, une situation davantage préoccupante au Québec compte tenu de son faible taux de natalité, la croissance de la main-d'oeuvre devra résulter de l'immigration d'ici 2020 et même au-delà. Les provinces doivent travailler avec le gouvernement fédéral à l'amélioration des bienfaits économiques de l'immigration. Cela doit dépasser l'accent récent sur la reconnaissance des titres de compétence et les services d'établissement. Il faut inclure un marketing plus agressif ciblant les immigrants les plus susceptibles de combler les pénuries de compétences.
La dette, un boulet!
Le fardeau de la dette du Québec, le second en importance en Canada et l'un des plus élevés au monde en fonction des revenus, constitue un défi particulier. Le financement de cette dette impose aux Québécois le deuxième fardeau fiscal en importance au pays et entrave les projets publics porteurs de productivité. Le récent engagement à réduire le niveau absolu du fardeau de la dette est fort louable. Des progrès doivent être réalisés à brève échéance: la main-d'oeuvre du Québec pourrait cesser de croître d'ici 2020 parce que la population de la province augmente deux fois moins vite que celle du reste du pays, et l'écart est encore plus vaste en comparaison avec les États-Unis.
L'histoire nous enseigne que les économies développées comme celle du Canada peuvent bénéficier de la concurrence d'économies émergentes. Compte tenu de l'actuelle base industrielle du Canada, concentrée en Ontario et au Québec, cet objectif sera difficile à atteindre d'ici 2020. Il faudra d'abord améliorer notre fiche de productivité lamentable. Ce ne sera peut-être pas suffisant, mais il s'agit d'un élément essentiel. L'intérêt pour la productivité semble réel mais les efforts restent tièdes. Il faudra bientôt allumer la mèche.
Ancien haut-fonctionnaire au ministère des Finances du Canada l'auteur est aujourd'hui vice- président et économiste en chef de la Banque Toronto-Dominion.
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