| PUBLICATION: | La Presse |
| DATE: | 2004.06.22 |
| SECTION: | La Presse Affaires |
| PAGE: | LA PRESSE AFFAIRES5 |
| COLUMN: | La vie économique |
| BYLINE: | Picher, Claude |
Il est abondamment question, pendant la campagne électorale, d'augmenter les dépenses de santé. Les conservateurs vont même plus loin en affirmant qu'il est possible à la fois d'augmenter les dépenses de santé et de réduire les impôts. Apparemment, il y là une contradiction: comment peut-on baisser les recettes fiscales du gouvernement sans compromettre davantage la qualité des services publics de santé? La question est d'autant plus pertinente qu'il y a eu une très nette détérioration des services depuis quelques années, en particulier au niveau de l'accessibilité: les délais d'attente pour avoir accès à une chirurgie sont devenus intolérables, les urgences ne suffisent plus à la tâche, et il est à peu près impossible de trouver un médecin de famille.
En fait, si on compare la situation canadienne avec ce qui se fait ailleurs dans le monde, il n'est pas évident que la solution consiste à augmenter les dépenses. Deux économistes de l'Institut C.D. Howe, Yvan Guillemette et Jack Mintz, viennent de se pencher sur la question. Ils ont comparé, pour 24 pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), la lourdeur du fardeau fiscal à l'importance des dépenses publiques de santé.
Le tableau résume le résultat de leurs travaux. Pour déterminer la lourdeur du fardeau fiscal, on additionne toutes les recettes fiscales des administrations publiques: impôts sur le revenu, taxes de vente, impôts fonciers, taxes spécifiques, redevances, droits de douane et d'accises, etc. On chiffre ensuite le total en pourcentage du produit intérieur brut (PIB). Ainsi, en Suède, le pays le plus taxé, les recettes fiscales des administrations publiques atteignent 61 % de la taille de l'économie. A l'autre bout de l'échelle, en Corée du Sud, les taxes et les impôts ne représentent que 32 % du PIB. Le Canada, avec 48 %, se situe dans la bonne moyenne des pays de l'OCDE.
Dans un deuxième temps, on additionne toutes les dépenses publiques de santé, et on chiffre aussi le résultat en pourcentage du PIB. Ainsi, l'Allemagne consacre 8 % de son PIB aux dépenses publiques de santé, ce qui en fait le pays le plus dépensier à ce chapitre. Le pourcentage correspondant, en Corée du Sud, est de 2,7 %, mais ce pourcentage s'écarte de façon importante de la moyenne de l'OCDE. Ainsi, dans les autres pays qui figurent en queue du classement, comme l'Irlande, la Slovaquie et le Luxembourg, les dépenses publiques de santé oscillent aux alentours de 5 % du PIB. Au Canada, la proportion est de 6,9 %.
En chiffrant les taxes et les dépenses en proportion du PIB, les auteurs obtiennent ainsi une bonne idée de l'effort que chaque pays doit fournir, compte tenu de sa capacité de payer. Si votre rang dans la colonne de droite est plus élevé que dans la colonne de gauche, il y a des chances qu'en tenant compte de votre capacité de payer, vous engloutissiez plus d'argent que la moyenne pour financer vos dépenses publiques de santé.
Les auteurs utilisent les chiffres disponibles les plus récents, soit ceux de 2001.
La première chose qui saute aux yeux est la position du Canada, qui détient le 14e rang pour la lourdeur de son fardeau fiscal, mais le septième quant aux dépenses. En scrutant le tableau plus attentivement, on s'aperçoit que plusieurs pays, avec des recettes fiscales supérieures à celles du Canada, réussissent pourtant à contenir leurs dépenses publiques de santé à des niveaux inférieurs à celui du Canada. L'Autriche, la Belgique, la Finlande, la Grèce, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Slovaquie sont dans cette situation. Mis à part la Slovaquie et la Grèce, tous ces pays jouissent d'un niveau de vie comparable à celui du Canada. Ces exemples montrent que, toutes proportions gardées, il est possible de financer des services publics de santé de qualité en dépensant moins d'argent qu'au Canada.
Les résultats du Canada sont particulièrement inquiétants quand on compare les pyramides démographiques. Dans un pays où la population est plus âgée, les revenus du gouvernement diminuent parce que les retraités, en moyenne, paient moins d'impôts que les travailleurs; par ailleurs, les dépenses publiques de santé augmentent. Dans ces conditions, on peut comprendre que des pays comme le Japon ou l'Allemagne, qui comptent respectivement 18 et 17,2 % de personnes âgées de 65 ans ou plus, figurent parmi ceux qui paient le plus cher pour leurs soins de santé, compte tenu de leur capacité de payer. Mais l'Italie (18 % de personnes de 65 ans ou plus) et la Suède (17,7 %) sont là pour rappeler qu'il est possible de faire beaucoup mieux.
Ce qui est tragique dans le cas du Canada, c'est que ses dépenses élevées, par rapport à sa capacité de payer, ne peuvent aucunement se justifier par l'âge moyen de sa population: seulement 12,6 % des Canadiens sont âgés de 65 ans ou plus. Qu'est-ce qui se passera dans quelques années, lorsque cette proportion atteindra un niveau comparable à celui du Japon et des pays européens?
Pour les auteurs, il semble assez clair que certains gouvernements dépensent moins que d'autres parce qu'ils gèrent mieux leurs systèmes publics de santé. Le Canada, concluent-ils, pourrait sans doute se permettre des services de santé à moindre coût s'il réussissait à améliorer la gestion du système.