PUBLICATION: La
Presse
DATE: 2005.08.30
SECTION: La Presse Affaires
PAGE: LA PRESSE
AFFAIRES5
COLUMN: La vie économique
BYLINE: Picher, Claude
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Y a-t-il trop d'élèves dans les classes?
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Selon une opinion largement véhiculée dans des milieux aussi variés que les associations de parents, les commissions scolaires, les bureaux des fonctionnaires du ministère de l'Éducation et surtout les syndicats de professeurs, il y aurait trop d'élèves par classe dans les écoles du Québec.
En conséquence, les enseignants sont débordés, ils n'ont pas assez de temps à consacrer à chacun, les classes sont bruyantes et peu propices à l'étude. C'est tout le monde qui en souffre puisque, au bout du compte, les résultats scolaires et même la qualité de l'éducation s'en ressentent. Une société qui laisse ses services éducatifs se détériorer n'a pas beaucoup d'avenir sur le plan économique.
Cette situation n'est pas unique au Québec. Un sondage commandé l'an dernier par la Fédération canadienne des enseignants montre que 76 % des Canadiens pensent que les classes ont trop d'élèves.
Or, une étude publiée la semaine dernière par l'économiste Yvan Guillemette, de l'Institut C.D. Howe, montre que le lien entre le nombre d'élèves et la réussite scolaire n'est pas évident. L'enquête montre même que les élèves des classes nombreuses réussissent tout aussi bien, et souvent même mieux, que ceux des classes moins nombreuses 1.
L'auteur se base surtout sur les résultats du Programme international d'évaluation des élèves, mieux connu sous son acronyme anglais de PISA (Programme of International Student Assessment). Le PISA est une enquête qui fait autorité dans les milieux de l'éducation.
Dans les classes où on trouve entre 20 et 29 élèves, le taux moyen de réussite en sciences est de 2,7 % inférieur au taux observé dans les classes de 30 élèves ou plus. En lecture, l'écart est de 2,2 % en faveur des classes nombreuses. En mathématiques, il passe à 3 %, et ce sont toujours les classes nombreuses qui l'emportent. L'enquête a été menée auprès d'élèves de 4esecondaire. Les échantillonnages étaient considérables: 12 000 élèves en sciences et en maths, 22 000 en lecture.
Certes, les écarts ne sont pas énormes, mais on ne peut certainement pas en conclure que le taux d'échec augmente avec le nombre d'élèves.
Une autre enquête reconnue, le Progamme des indicateurs de réussite scolaire, ou SIAP (School Achievement Indicators Program), vise à mesurer, sur une échelle de zéro à cinq, les capacités des élèves en lecture et en maths. Zéro signifie que l'élève n'a rien compris; cinq représente une note parfaite. Les spécialistes considèrent qu'une note de 2 constitue le niveau minimum satisfaisant pour un élève de 13 ans.
Le SIAP montre que près de 90 % des petits Québécois francophones ont un score de 2 ou plus en lecture. C'est le pourcentage le plus élevé au Canada, et c'est certainement un indicateur que le système québécois d'éducation est loin d'être aussi mauvais qu'on le dit parfois. A l'autre bout de l'échelle, à peine 52 % des petits Saskatchewannais parviennent à obtenir la note de 2 en mathématiques.
Pourtant, au Québec, 80 % des classes ont en moyenne 25 élèves ou plus; en Saskatchewan, 75 % des classes ont 25 élèves ou moins!
De plus, les classes nombreuses ne sont pas aussi bruyantes qu'on pourrait le penser. Ainsi, dans les classes comptant de 20 à 29 élèves, 37,6 % d'entre eux se plaignent d'être dérangés par le bruit ou l'agitation ambiante. Lorsque le nombre d'élèves dépasse 30 par classe, ce taux baisse à 34,1 %. Ces chiffres reflètent les résultats d'une enquête menée auprès de 10 400 élèves.
On peut difficilement expliquer le succès des élèves des classes nombreuses. L'auteur évoque le fait que les provinces qui favorisent les classes plus petites doivent forcément embaucher plus d'enseignants, et donc être moins regardants sur leurs qualifications professionnelles. Cela peut certainement contribuer à diluer la qualité de l'enseignement. D'ailleurs, les chiffres montrent que la fréquence et la qualité des diplômes des profs augmentent avec le nombre d'élèves. Mais M. Guillemette reconnaît que l'explication, au mieux, demeure partielle.
Une chose, en revanche, saute aux yeux. Plus vous diminuez le nombre d'élèves par classe, plus vous payez cher. Prenons le cas d'une école de 120 élèves, et où la rémunération globale d'un enseignant est de 60 000 $. Avec quatre classes de 30 élèves, le coût de votre corps professoral se situe à 240 000 $, ou 2000 $ par élève. Si vous passez à six classes de 20 élèves, la dépense grimpe à 360 000 $, ou 3000 $ par élève.
Si cela pouvait contribuer à augmenter le taux de réussite et la qualité de l'enseignement, ce serait peut-être une bonne chose, mais on a vu que ce n'est pas le cas: les classes de 30 élèves réussissent aussi bien que celles de 20.
Les administrations scolaires pourraient réaliser d'énormes économies en cessant de diminuer le nombre d'élèves par classe. L'auteur s'oppose cependant aux compressions dans le budget de l'éducation. Il pense que l'argent ainsi économisé devrait au contraire rester dans le système, et servir à financer d'autres priorités comme le perfectionnement des maîtres, l'achat de livres, ordinateurs, matériel de laboratoire et autres équipements.
1: Pour un accès direct et gratuit au document de 20 pages (disponible en anglais seulement), taper www.cdhowe.org/pdf/commentary-215.pdf