PUBLICATION:  La Presse      
DATE:   2005.08.31     
SECTION:  Forum  
PAGE:   A19    
SOURCE:  Collaboration spéciale 
BYLINE:  Dubuc, Alain   

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La comptabilité de l'éducation

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L'institut C. D. Howe a envoyé un pavé dans la mare du monde de l'éducation en publiant, la semaine dernière, une étude démontrant que le nombre d'élèves dans une classe n'a aucun impact sur la performance scolaire.

Il y a toujours un certain charme à voir une étude bousculer les idées reçues. Le consensus est en effet très large autour de l'idée qu'une réduction de la taille des classes est un objectif souhaitable pour améliorer la qualité de l'éducation. C'est ce que croient les enseignants, mais aussi la plupart des gouvernements, de très nombreux spécialistes de l'éducation et, bien sûr, les parents. On imagine l'utilisation que l'on pourra faire des résultats de cette recherche, partout au Canada où l'on réfléchit à la façon dont on doit améliorer les systèmes d'éducation, et plus particulièrement au Québec, au coeur d'une négociation qui s'annonce turbulente avec ses enseignants, où la charge d'enseignement et le nombre d'élèves font partie du tableau.

Mais cette étude de l'organisme de recherche indépendant, même si elle est bien faite, même si elle est sérieuse au plan méthodologique, ne réussira certainement pas à clore le débat et la réflexion sur la question du nombre d'élèves par classe. En fait, cette étude, aussi intéressante soit-elle, n'est pas convaincante. Parce qu'elle propose dans les faits une vision comptable de l'éducation, qui passe à côté de l'essentiel.

Le chercheur du C. D. Howe appuie sa démarche sur une solide littérature internationale montrant qu'il n'y a pas le lien évident entre la taille des classes et la réussite scolaire, sauf au tout début, en maternelle et en première année du primaire, où dominent les objectifs de socialisation et d'adaptation aux contraintes scolaires.

Et c'est ce qu'il a réussi à confirmer dans le cas du Canada, en analysant les résultats de deux grandes enquêtes sur la performance scolaire, l'une pancanadienne, l'autre internationale sous les hospices de l'OCDE, qui testent année après année des milliers d'élèves du secondaire en sciences, en mathématiques, en lecture. Ces enquêtes comportent aussi des informations sur les étudiants et leurs écoles. Ce que le chercheur a découvert, c'est qu'il n'y a aucune corrélation entre le succès des élèves à ces examens et la taille de leur classe. Au contraire, les scores sont mêmes meilleurs pour les jeunes qui étaient dans des classes de plus de 30 élèves que pour ceux qui étaient dans des classes de 20-24 ou de 25-29 élèves!

C'est ce qui a permis au C. D. Howe de conclure que la réduction de la taille des classes n'est pas une avenue à explorer, parce qu'elle coûte très cher pour des résultats minimes ou nuls. Une conclusion plus prudente, quand on prend le problème par l'autre bout, serait plutôt que la réussite scolaire dépend d'une foule de facteurs autres que la taille de la classe. On le voit entre autres par le fait que deux des provinces qui ont les meilleurs scores dans ces enquêtes, l'Alberta et le Québec, notons-le avec joie, obtiennent ces succès malgré leurs rapports maîtres-élèves élevés.

Mais surtout, cela ne permet pas d'écarter d'un revers de main les bienfaits potentiels d'une réduction de la taille des classes. Le but d'un système d'éducation n'est pas seulement d'obtenir de bonnes moyennes dans des tests comparatifs, même s'il s'agit là d'outils précieux pour mesurer la performance. Ce serait une vision mécanique de l'éducation et de son rôle.

Il est assez évident que plus les classes sont nombreuses, plus la charge de l'enseignant est lourde. Cela n'a pas d'effets sur les résultats scolaires moyens, mais cela peut certainement en avoir un sur les enseignants eux-mêmes, sur leur dynamisme et leur moral. Assez pour que l'on doive prendre en compte l'impact potentiel de la taille des classes sur l'énergie et l'enthousiasme des enseignants, et donc sur la qualité de leur prestation.

Ce qui est encore plus certain, c'est qu'un enseignant qui a charge de moins d'élèves aura plus de temps pour s'occuper de ceux qui en ont le plus besoin. Les " bolés " sont capables de performer, peu importe leur environnement, et la taille de la classe ne les empêchera pas d'avoir de bons résultats. Pas ceux qui ont des difficultés.

Les écoles ne sont pas seulement là pour amener les jeunes à avoir de bonnes notes. Elles servent aussi à développer des aptitudes essentielles, que des examens classiques ne capteront pas toujours, par exemple la curiosité, la soif d'apprendre, l'amour de l'école, la créativité. Il y a de bonnes chances que cela soit davantage possible si les enseignants ont le temps et la disponibilité.

Adubuc@lapresse.ca